Hubert Reeves

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Émission du 17 décembre 2005

La force des convictions (2)

C'est autour du thème « la réalité n'est jamais ni aussi simple ni aussi compliquée qu'on croit » que nous poursuivons nos investigations concernant la carrière d'Einstein.

La théorie de la relativité avait effectivement mis en évidence l'existence d'une grande simplicité dans des domaines que l'on croyait extrêmement compliqués. C'est l'arrivée de la physique quantique, dans les années 1920-1930, qui a changé la donne pour Einstein. Grâce à Bohr, Schrödinger, Heisenberg et bien d'autres, le comportement des atomes, des molécules et de la lumière trouvent dans cette théorie des explications hautement satisfaisantes. L'accord entre les prédictions de la physique quantique et les résultats de laboratoires est époustouflant. Einstein en est bien d'accord.

Mais la théorie le laisse hautement insatisfait : d'abord, elle incorpore une certaine dose d'indétermination. Le hasard re-pointe son nez, et ne peut plus être considéré comme un alibi à notre ignorance : il est profondément incrusté dans le comportement des atomes.

C'est ainsi qu'après deux ou trois premières décennies glorieuses, durant lesquelles Einstein révolutionne la physique, sa production scientifique se stérilise progressivement.

Einstein, fidèle à la vision déterministe du monde qui l'a mené si loin dans son exploration du comportement de la matière, persiste à penser que la théorie quantique n'est pas définitive ; qu'en creusant davantage, on trouvera une causalité cachée qui permettrait de se débarrasser du hasard quantique.

Il y travaille pendant trente ans. En vain. Il dira à Niels Bohr : « Je ne peux pas croire que Dieu joue aux dés ». Et Bohr de répondre : « Albert, cessez de dire à Dieu comment il doit se comporter ».

La théorie quantique remet en cause la valeur d'une autre de ses idées-forces : la réalité objective du monde extérieur qu'il s'obstine à penser totalement indépendant du regard de l'observateur. La théorie quantique met en évidence l'influence de la façon d'observer la nature sur les résultats obtenus. La notion d'un monde extérieur à nous, indépendant de notre mode d'exploration, n'est pas compatible avec la théorie. Quand Einstein dira à Bohr : « Ne me dites pas que la Lune n'existe pas quand je ne la regarde pas », Bohr lui répondra fort courtoisement : « Comment voulez-vous que je le sache ? »

Le monde n'est pas aussi simple que l'a cru Einstein, les lois de la physique ne déterminent pas complètement l'avenir. La causalité ne se présente pas d'une façon rigide : à chaque cause ne correspond pas un et un seul effet, mais plusieurs effets possibles. Lequel se produira ? Nulle équation mathématique ne peut le prédire. On peut tout au plus en calculer la probabilité. Le futur n'est inscrit nulle part.