Hubert Reeves

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Dirac et l’antimatière (1)

Émission du 31 décembre 2005

Nous quittons maintenant le monde d'Einstein, pour accéder à celui d'un autre grand physicien de notre époque, Paul Dirac.

Replaçons-nous dans le contexte historique des années 1920 – 1930 ; deux grandes découvertes viennent de révolutionner profondément la physique : la théorie de la relativité d'Einstein, et la physique quantique de Bohr, Heisenberg, Schrödiger, et bien d'autres. Les deux théories ont un immense succès, mais chacune dans son domaine. La physique atomique explique précisément le comportement des atomes, des molécules et de la lumière. La théorie de la relativité rend compte du mouvement étonnant de la planète Mercure dans le champ de gravité du Soleil.

Dirac, physicien anglais féru de mathématiques, prend conscience du fait que les équations de la physique quantique et celles de la relativité sont incompatibles, voire contradictoires. Celles d'Einstein ignorent et négligent complètement celles de la physique quantique, et vice versa. Problème ! Dirac se dit que la réalité est une et que, selon toute logique, les équations qui la décrivent devraient intégrer tous les aspects de ses manifestations. Ces incohérences entre les deux théories doivent être éliminées.

Il se propose alors d'écrire une équation plus générale, qui intègrerait à la fois les apports de la relativité et ceux de la physique quantique. Après beaucoup d'efforts, il y parvient.

Son équation, appelée « équation de Dirac », est d'un aspect hautement rébarbatif. Elle fait appel à des formes de mathématiques bien peu familières à cette époque. La réalité serait-elle si compliquée ? Dirac en est décontenancé.

Les solutions à cette équation promettent d'être très difficiles à interpréter. Pourtant, un premier résultat semble de bonne augure : c'est à propos du mouvement des électrons dans les champs magnétiques. On savait déjà, depuis quelques temps, que les électrons sont déviés quand ils traversent un champ magnétique. D'une façon tout à fait imagée, on se représentait l'électron comme une petite sphère, tournant rapidement sur elle-même, reproduction miniature de la Terre, par exemple. Ce mouvement de rotation, appelé « spin » d'une particule chargée était, dans cette optique, responsable du mouvement particulier de l'électron dans le champ magnétique. L'électron pouvant tourner sur lui-même dans le sens des aiguilles d'une montre, ou dans le sens inverse, il pourrait être dévié dans deux directions différentes.

Et voilà le résultat étonnant : l'équation de Dirac montre que le spin est une propriété qui se dérive naturellement de son équation. Inutile d'en postuler arbitrairement l'existence : le spin découle de l'exigence imposée par Dirac d'intégrer dans le formalisme mathématique, à la fois les acquis de la relativité et ceux de la physique quantique.

Ajoutons tout de suite, pour ne pas simplifier les choses, que cette propriété n'a rien à voir avec une rotation quelconque de l'électron …

Ajoutons encore que la réunification accomplie par Dirac ne touche que la théorie de la relativité restreinte formulée en 1905 par Einstein. Elle ne s'applique que dans des contextes où la force de gravité est absente, ou très faible (à la surface de la Terre, par exemple).

La réunification de la physique quantique et de la théorie de la relativité générale (incluant l'influence de la gravité) reste un des problèmes majeurs de la physique contemporaine.