Hubert Reeves

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Émission du 29 janvier 2006

Notre univers contient à la fois de la matière et de l'antimatière. Mais, dans la nature, l'abondance respective de ces deux composantes diffère totalement : la matière est omniprésente, alors que l'antimatière n'existe, à notre connaissance, que dans le rayonnement cosmique qui circule entre les étoiles, et si nous la fabriquons dans nos laboratoires. On attribue cette différence aux conséquences de phénomènes qui se sont passés aux premiers instants de l'univers. Le sujet reste encore largement inexpliqué.

La matière et l'antimatière ne peuvent coexister au même endroit, car elles s'annihilent alors en lumière. D'où un problème majeur pour les physiciens qui fabriquent de l'antimatière au laboratoire : comment la conserver ? Il faut impérativement tenir les antiparticules à distance des atomes de matière ordinaire, sinon elles disparaissent instantanément.

La recette consiste :

On fabrique d'immenses tubes circulaires appelés « anneaux de collisions », dans lesquels les antiparticules circulent à des vitesses prodigieuses. Le plus grand anneau, situé à Genève au Centre d'Étude en Recherche Nucléaire (CERN), atteint dix-sept kilomètres de circonférence.

Le but de ces expériences est de précipiter ces antiparticules, auparavant accélérées à de très hautes énergies (milliards d'électron-volts) sur des cibles de matière, pour observer les effets de ces collisions. Ainsi, on a pu voir apparaître des quantités de particules et d'antiparticules inconnues jusqu'alors. Leurs populations et les propriétés de ces objets nous ont fait faire d'immenses progrès dans l'étude de la physique du monde dans lequel nous vivons. Des accélérateurs toujours plus puissants sont en préparation dans différents pays, pour aller encore plus loin dans ce projet.

Le phénomène d'annihilation d'une paire de particule et d'antiparticule dégage, nous l'avons mentionné auparavant, beaucoup d'énergie. À peu près cent fois plus d'énergie, par unité de masse, que les réactions nucléaires d'une bombe atomique. Pourrait-on utiliser ce mode d'énergie à des fins civiles ? Y a-t-il là un espoir de solution à nos problèmes énergétiques à l'échelle planétaire ? Le problème c'est qu'il faut d'abord engendrer l'antimatière, dont nous savons que, contrairement à l'uranium de nos réacteurs, elle n'existe pas dans la nature qui nous entoure. Il faut d'abord mettre en opération des accélérateurs de haute énergie, capables de provoquer des collisions de particules chargées. C'est dans les débris de ces collisions que l'on retrouve les particules désirées.

On pouvait penser que cette forme d'énergie attirerait l'attention de certaines armées. Pourtant, le coût de l'opération a vite dissuadé les autorités militaires qui auraient pu s'y intéresser.