Hubert Reeves

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Émission du 5 février 2006

Nous abordons maintenant le monde des neutrinos.

Ces particules, inconnues jusque dans les années 1930, sont aujourd'hui présentes dans toute la physique et l'astrophysique. Elles pullulent dans tout l'univers et jouent un rôle de plus en plus important dans l'observation des phénomènes du cosmos.

L'idée même de l'existence de ces particules a germé dans le cerveau d'un physicien génial, Wolfgang Pauli, alors que les physiciens étaient confrontés à un problème majeur, celui de la désintégration des neutrons.

Les neutrons sont, avec les protons, les constituants des noyaux atomiques. Extrait de son noyau et abandonné à lui-même, le neutron disparaît en environ vingt minutes : il se désintègre. On observait en son lieu et place un proton et un électron, débris en quelque sorte de sa constitution. Pourtant, quelque chose faisait problème : la somme des énergies associées à chacune de ces particules résiduelles (le proton et l'électron) était inférieure à l'énergie associée au neutron. Le sacro-saint principe de la conservation de l'énergie (rien ne se perd, rien ne se crée) semblait pris en grave défaut. Fallait-il accepter comme un dogme le caractère prétendu absolu de ce principe ? Ou pouvait-on concevoir qu'en certains cas, cette loi de conservation de l'énergie puisse être violée ? Après tout, pourquoi pas ?

Pourtant, dans une sorte d'effort ultime pour conserver ce principe de la conservation de l'énergie, principe si précieux aux physiciens, Pauli avança une hypothèse téméraire : Et s'il y avait une troisième particule, indétectable par les techniques contemporaines ? Et si cette particule emportait avec elle l'énergie manquante dans ce bilan ?

Comment décrire cette particule ? D'abord elle devait avoir une très faible masse (le déficit d'énergie observé était quand même faible). Ensuite elle ne devait pas être électriquement chargée, sinon on l'aurait déjà observée. Ce devait être une sorte de petit neutron que l'on baptisa « neutrino ».

Lorsque les neutrinos furent détectés quelques années plus tard dans les accélérateurs nucléaires, cette détection marqua la consécration de l'analyse théorique de Pauli ! On fabrique maintenant des faisceaux de neutrinos de grande intensité. En les bombardant sur des cibles choisies, on les utilise pour analyser la constitution intime de la matière. On sait aujourd'hui qu'il en existe trois variétés, avec des propriétés différentes.

Et tout cela est devenu réalité scientifique, alors qu'au départ, c'était une idée née de l'imagination d'un chercheur soucieux de sauver le sacro-saint principe de la conservation de l'énergie.

Le jour où Lavoisier a énoncé ce principe, il ne pouvait en prévoir toutes les fantastiques conséquences.